20 août 2016

Voyage en Russie ! - partie 5 (Kitèje)

Dimanche 14 août et lundi 15 août 2016


Cher lecteur, nous reprenons notre récit au moment où, à bord d'une guimbarde préhistorique lancée à une vitesse folle sur des routes semées de nids de poules, nous arrivons au village de Kitèje, perdu dans la campagne russe.


Après une dizaine de minutes de route, nous atteignons le grand portail qui marque l’entrée du village de Kitèje. A côté de celui-ci une inscription indique : « La paix soit avec celui qui entre. Ici est le territoire du village de Kitèje, où les enfants ont retrouvé leur maison et leur famille ».

Pour comprendre l'origine de cette mystérieuse inscription, jetons un oeil au contexte : le village de Kitèje a été fondé en 1992 par Dimitri Morozov, à 280 kilomètres au sud de Moscou. L"objectif est de donner aux enfants des rues un nouveau foyer et une vie décente, loin des orphelinats surchargés, et en mettant l’accent sur l’éducation des orphelins. Le nom est un clin d’œil à la légendaire cité de Kitej. Nous avons décidé de nous y rendre pour faire écho à notre visite, en juillet dernier, du centre agroécologique / ferme coopérative des Amanins, situé dans la Drôme : même si les démarches des deux sites restent assez différentes, les deux proposent des conceptions de l’éducation originales et s’appuient sur des pédagogies alternatives assez inspirantes.


Au moment où nous franchissons le portail, nous avons l’impression d’entrer dans un monde à part. De magnifiques bâtiments en bois apparaissent ici et là, leur architecture s’inspire des bâtiments traditionnels russes, et leur allure m’évoque également des influences scandinaves. L’endroit a l’air quasi désert et alors que nous descendons du véhicule, nous sommes frappés par le calme qui règne dans un endroit normalement occupé par un minimum de 70 personnes.


Une jeune femme russe se dirige vers nous et nous dit s’appeler Anastasia (Nastia pour faire plus court) : c’est elle qui va nous faire visiter les lieux. Elle nous apprend que le silence impressionnant régnant dans le village est exceptionnel, car en cette période de l’année la plupart des enfants sont partis en colonies de vacances, et nombre d’adultes sont également absents, ceci réduisant donc les effectifs à 17 personnes seulement.


Nous commençons par nous installer dans la « maison des invités » qui comme son nom l’indique accueille les visiteurs de passage. Nastia nous indique qu’elle est habituellement habitée par un Ecossais, actuellement parti explorer le Kamtchaka, et que l’un des deux cuisiniers du village, ancien enfant adopté, occupe l’une des chambres. Le bâtiment possède une salle de classe, comme la plupart des maisons du village, car les cours qui occupent les enfants de 9h à midi ne se déroulent pas seulement dans les locaux de la grande école circulaire flambante neuve encore en construction. L’ensemble des parents des familles d’accueil participe à l’enseignement. De pièce en pièce, nous découvrons de nombreux affichages indiquant que la maison est dédiée à l’apprentissage de l’anglais.


Je suis étonné de l’apparence des bâtiments, m’attendant à des constructions plus « artisanales », en dépit de leurs façades traditionnelles : la maison que nous occupons offre en effet un confort moderne, avec eau courante, douche et cuisine équipée. L’église du village, que nous visitons peu après, contraste par sa facture rustique : Nastia nous explique que c’est le premier prêtre du village qui l’a bâtie lui-même ainsi que la maison circulaire au toit pointu située non loin de là.


Au cours de la visite, nous croisons les vestiges d’un grand jeu de rôle, un abri anti retombées radioactives sur lequel on peut lire le mot « FALLOUT ». Ce grand jeu a rassemblé les enfants de séjours vacances sous tente installés sur le site ainsi que ceux de Kitèje même, car le village accueille régulièrement des personnes venues de l’extérieur, des colonies de vacances aux bénévoles venus découvrir la communauté.

Nastia nous guide à l’intérieur de l’ancienne école, qui est en partie occupée par une bibliothèque. Il s’agit d’une école d’Etat et non d’une école privée sous contrat comme celle que nous avons pu découvrir aux Amanins ; une visite d’inspection est d’ailleurs prévue dans peu de temps. Certains parents scolarisent leur(s) enfant(s) à Kitèje, leur offrant ainsi une éducation qu’ils ne trouveraient pas ailleurs. Economiquement parlant, il apparaît que l’école de Kitèje, qui a le statut d’école de village (peu d’élèves et isolée, un peu comme l'Île d'Yeu !), bénéficie de subventions de la part du gouvernement, ce qui explique en partie comment le village peut continuer fonctionner en dépit de toute autonomie alimentaire ou énergétique.


En parlant d’alimentation, le site possède une ferme, qui permet de fournir au village tout le lait et fromage dont il a besoin, ainsi qu’un potager relativement modeste : Nastia nous explique que Kitèje ne vise pas l’autosuffisance alimentaire, car le temps dédié à l’agriculture ne doit pas faire perdre de vue l’objectif premier qui reste l’éducation des enfants. L’organisation de la vie quotidienne est donc pensée dans ce sens, et les après-midi voient enfants et adultes œuvrer ensemble aux tâches nécessaires au bon fonctionnement du village (entretien, réparation, travaux agricoles, etc.) dans une logique de coopération que ne renieraient pas les Amanins.

En fin de visite, nous rencontrons Katia et Sophie, toutes deux anglo- et russophones originaires respectivement des Etats-Unis et du Royaume Uni, venues en tant que volontaires découvrir Kitèje et s’investir dans la vie du village.  Puis arrivent Morwen et Vitali : la première est britannique et s'exprime dans un russe et français quasi parfaits ; le second est russe, et tous deux s’apprêtent à quitter le village pour aller vivre ensemble à Londres. Je suis assez ravi de pouvoir dérouiller un peu mon anglais.


Nous nous retrouvons tous en chaussons du côté de la « cantine » pour préparer le dîner, qui dépayse totalement : de la ratatouille. Dans la cuisine nous déballons puis préparons les légumes, acheté aux producteurs locaux et qui sont comme dans toute la Russie très bon marché (pour manger pas cher, manger vert). Nous terminons cette longue journée avec la soirée d’adieu de Vitali et Morwen avant d’aller nous mettre au lit, très fatigués.


*      *       *


Le rythme des vacances est assez relaxé à Kitèje. Après une douche vivifiante (curieuse installation offrant des cycles de trente seconde d’eau bouillante suivis de dix minute de glace pilée), nous avalons un petit déjeuner composé de thé, de caviar de poisson, et d’œufs brouillés, tandis que les Kitèjiens font le point sur les tâches de la journée et la répartition de chacun, tiennent le registre des entrées et des sorties, en gardant tout cela consigné dans un cahier.


Nastia nous indique que notre travail de la matinée est de l’aider à nettoyer les fenêtres de l’annexe de la maison située en face de la nôtre. Nous voici partis armés d’eau savonneuse, de tissus variés ainsi que de gants (qui ne seront pas de trop car ce qu’on ne nous avait pas dit, comme par hasard, c’est que les fenêtres en question dissimulent en réalité une forteresse d’araignées – et il faut savoir que la version russe de ces monstres octopèdes est absolument répugnante #TeamArachnophobia #KillThemAll).


La matinée est vite terminée, et Macha achète l’un des livres de Morozov, où il aborde de manière détaillée sa conception de l’éducation. Le repas du midi est composé entre autres de bortsch, et d’un mélange d’algues, ce qui paraît curieux vu notre éloignement de la mer.

L’après-midi, nous allons travailler au potager en compagnie de Sophie ainsi que de Sacha, la responsable du jardin. Celle nous a réservé un travail « typiquement russe » : retourner un carré de terre à la fourche – tâche dont mes reins se souviennent encore. Nous allons ensuite prendre soin des concombres en guidant les pousses le long de la structure à laquelle ils s’accrochent, avant de nous diriger vers les deux serres afin de vaporiser un désinfectant sur les tomates, sous le regard du chat le plus attachant du monde. Le spray rendant bientôt l’âme, nous terminons de répartir le produit « traditionnellement », au moyen de branches de pin, nombreux à Kitèje.



La journée s’achève autour d’un thé et de miel maison offert par Sacha et son compagnon Kirill, qui nous ont gentiment proposé de nous ramener sur Moscou en voiture le lendemain.


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