18 août 2016

Voyage en Russie ! - partie 4 (Taroussa)

Samedi 13 et dimanche 14 août 2016



Aujourd’hui, accompagnés d’Elena, nous nous dirigeons vers Taroussa, petite ville située à environ 200km au sud de Moscou et logée le long d’un coude de la rivière Oka. C’est un lieu de pèlerinage pour Macha qui s’y est déjà rendue de nombreuses fois : la ville est entre autres connue pour avoir été le lieu d’habitation de la poétesse Marina Tsvetaeva, ainsi que d’autres écrivains.

Les déplacements sont une expédition en Russie : les distances semblent étirées, disproportionnées, et on doit composer avec différents moyens de transport ; pour nous rendre à Taroussa, nous nous préparons à combiner train, métro, et bus. Pour ne pas consacrer une partie trop importante de la journée au voyage, nous nous levons aux alentours de 5h30 et embarquons bientôt dans l’elektrichka maintenant devenue familière, direction Moscou. Le métro nous emmène alors, quasiment en bout de ligne, à l’une des gares routières moscovites en banlieue de la capitale.

Commence alors une attente interminable dans le but d’obtenir nos tickets. Entre les bâtiments blancs et bleus de la gare s’est formée une longue file de voyageurs, piétinant sous l’œil de militaires censés montrer qu’on ne rigole pas avec la sécurité. D’ailleurs, ici, les passeports sont systématiquement vérifiés avant toute montée dans les bus, même sur une distance relativement courte. C’est une contrôleuse d’un autre temps qui, liasse de papier en main, pointe les voyageurs se présentant devant elle. Tous ces efforts pour donner une apparence de sécurité et de contrôle paraissent alors ridicules, quand Macha m’explique que, comme partout ailleurs, il suffit de mettre le bon billet dans la bonne main pour obtenir ce que l’on veut.


La manière de procéder pour obtenir des tickets est très floue : nous remarquons des automates délaissés car d’une lenteur extrême, et tout le monde préfère patienter devant les guichets. L’ambiance est conviviale, les gens viennent volontiers se parler (je vis ainsi quelques moments angoissants ou on me pose une question sans aucun mot connu), ou demander des informations quant à la manière d’obtenir des tickets : personne n’a l’air de vraiment savoir comment ça se passe, mais ça à l’air de se passer quand même. Il vaut mieux ne pas donner l’impression de tenter de doubler quelqu’un dans la file : les places sont sacrées, et toute personne tentant d’en gagner quelques-unes se fait sèchement réprimander.


Nous finissons par monter à bord de notre bus, et entamons bientôt notre trajet, qui doit durer 2h30. La fatigue se fait sentir et nous tentons de rattraper quelques heures de sommeil. Nous dépassons les dernières banlieues de Moscou et ses ultimes immeubles d’habitation occupés en majorité par des travailleurs venus de province. Les paysages urbains laissent bientôt place à la campagne : nous circulons au milieu d’étendues immenses de plaine et de forêt vierges de toute trace humaine, vision assez inhabituelle. Quelques villages viennent rompre la monotonie de paysages peu changeants, la nature libre et sauvage contrastant avec la droiture de vestiges soviétiques : ici un tank de l’Armée Rouge, là un monument surmonté d’un avion étoilé. Nous dépassons des zones clôturées où des maisons sont mises à la vente et ainsi protégées de toute intrusion. A l’approche de Taroussa, de grandes demeures aux jardins de tailles correspondantes laissent place à de nombreuses dachas. Celles-ci symbolisent par leur présence l’émergence d’une classe moyenne jusqu’à récemment quasi absente de la société russe.


Passablement fatigués, nous atteignons la minuscule gare routière de Taroussa. Nous allons rapidement enregistrer l’arrivée d’Elena à son hôtel (différent du nôtre, qui affichait complet après réservation), puis nous partons nous promener à travers la ville. Sur la place principale, peu peuplée, se dresse l’une des deux églises orthodoxes de la ville, à l’allure si exotique pour mon regard de français. La place possède sa statue de Lénine, tenant sa veste d’une main comme à son habitude, ainsi qu’un monument commémorant la Grande Guerre Patriotique (1941-1945).


Nos pas nous mènent un peu plus loin, sur un square proche de l’église, récemment aménagé, du haut duquel nous apprécions la splendide vue sur la rivière Oka, qui forme une large courbe au bas de la pente. Macha m’explique que la promenade pavée sur laquelle nous avançons est toute neuve, et a remplacé l’ancien sentier où se postaient de nombreux peintres, malheureusement absents. Cette partie du centre-ville a été réaménagée, probablement pour faire face à l’afflux de visiteurs plus nombreux qu’auparavant, apparemment au détriment de ce qui faisait son charme. La statue de Tsvetaeva, qui domine le paysage sauvage, est à présent entourée de bancs très fréquentés.


Nous quittons la ville et continuons notre promenade sur un sentier de terre longeant la colline, avant de trouver un endroit pour pique-niquer à la russe : pas de sandwiches mais des légumes que l’on sale à volonté, ainsi qu’un peu de kolbasa.  En contrebas, on aperçoit de temps à autres un bateau sillonner la rivière. Plus loin, après la pierre-mémorial à Tsvetaeva, nous croisons un arbre à souhaits, dont les branches sont chargées de rubans et fils noués comme autant de vœux de visiteurs.

En début d’après-midi, nous allons enregistrer notre arrivée au deuxième hôtel, où nous sommes accueillis par une dame d’un calme à toute épreuve et d’une lenteur fascinante, dotée d’une choucroute soviétique absolument réjouissante et d’une paire de lunettes assortie. Elle nous remet la clé de notre chambre, laquelle arbore comme porte-clés un poisson en bois démesuré au point qu’il pourrait se faire passer pour un dessous-de-plat.


Nous installons rapidement nos affaires dans notre suite royale chambre avant de partir à la découverte de la ville. Celle-ci possède tout comme Moscou un nombre impressionnant de pharmacies au kilomètre carré. Nous repérons une épicerie où, après avoir ouvert de grands yeux devant le choix de poissons, nous achetons des glaces : les made in Russia sont très bonnes, mais apparemment pleines de choses pas très recommandables pour la santé. Nous allons ensuite dans un petit magasin pour acheter de quoi grignoter le lendemain, sur notre trajet vers Kitèje. Comme je l’ai découvert à midi, les sandwiches ne font pas vraiment partie de la culture russe : en guise de pain, nous achetons du lavash (sorte de pain plat et sec, en version arménienne) et je découvre navré le rayon du petit chimiste viandes, où tout à l’air plus ou moins bourré de choses pas très recommandables pour la santé. Nous choisissons la mort dans l’âme ce qui semble être une sorte de jambon d’ « aggloméré de viande reconstituée aux arômes artificiels et colorant en robe de chambre de gelée graisseuse pas très recommandable pour la santé™ », qui s’avère après ouverture (et rinçage) être étonnamment mangeable, mais qui nous tordra les boyaux pendant quelques heures (voilà qui explique peut-être la profusion de pharmacies).


Un achat compulsif de kvas plus tard, nous partons en exploration du côté des dachas : la plupart de ces maisons arborent toujours des décorations traditionnelles colorées, et de fort jolis ornements en bois sculpté. Ce qui est frappant est la place laissée aux plantes, buissons et herbes qui poussent le long des routes et envahissent un peu tout sans que personne ne décide de tondre ou de couper quoi que ce soit, ce qui donne aux rues un air de semi-abandon des plus romantiques. Nous sommes témoins de contrastes assez stupéfiants en découvrant, face à face dans une même rue, deux maisons dont les propriétaires n’ont vraisemblablement pas les mêmes moyens.


Plus loin, devant nous, un homme avance visiblement ivre, titube et continue à quatre pattes ; Macha m’apprend un nouveau mot : « zapoï », ce qui désigne trois jours passés à boire, ou par extension l’état d’une personne passant trois jours à boire. Elena rétorque que ce n’est pas un zapoï mais juste un homme qui rentre chez soi, un samedi soir.


Nous arrivons à la sortie du village, et décidons d’aller visiter le cimetière orthodoxe, qui est à en croire Macha différent de ceux qu’on peut connaître en France. Celui-ci s’étend à perte de vue dans la forêt, ce qui me rappelle un peu celui d’Highgate, à Londres. Les sépultures sont en majorité entourées de clôtures en métal, et la plupart affichent des photos ou des gravures représentant les portraits des personnes décédées. Le plus étonnant est la présence de tables et de bancs à-côté des tombes : la tradition veut que les proches du défunt prennent un moment pour s’asseoir et boire un verre de vodka en sa mémoire. Certains laissent même des gâteaux ou friandises sur les lieux, en partage, qui sont habituellement récupérés par les SDF locaux. Pas de raison de s’en offusquer, après tout c’est une occasion pour eux de penser au défunt et de lui faire honneur.


Nous choisissons un petit restaurant, seul endroit possible pour dîner qui ne soit pas occupé par les festivités de mariages. Curieusement, le quart des plats annoncés sur la carte n’est finalement pas disponible. La journée s’achève autour d’un bœuf strogonoff des plus délicieux.



*       *       *


Le lendemain, nous nous levons dès 6h00 pour avoir une chance d’admirer la rivière Oka, qui se couvre de brume au petit matin, mais nous arrivons un peu tard. Après un petit déjeuner rapide à l’hôtel, nous nous dirigeons vers l’église qui se trouve un peu excentrée sur une colline. C’est dimanche, et Macha veut me montrer à quoi ressemble une liturgie orthodoxe et particulièrement ses chants, qui paraît-il sont très beaux.


Macha et Elena se couvrent la tête de foulards puis nous pénétrons dans l’église qui est déjà peuplée, entre autres, d’un certain nombre de babouchki et de diedouchki, qui seront finalement rejoints par des familles entières. L’intérieur offre bien le faste visuel caractéristique de l’orthodoxie, avec un florilège de dorures et des murs couverts de magnifiques fresques ; le prêtre arbore de son côté un splendide costume. Je remarque que le lieu ne possède que peu de bancs, les fidèles passant l’heure et demie de liturgie debout, face au « Grand Portail », porte qui dissimule un certain temps le prêtre et les diacres aux yeux de l’assemblée. Nous nous trouvons dans une petite église d’une non moins petite ville, et pourtant les chants sont magnifiques, l’interprétation est parfaite malgré la complexité des pièces aux nombreuses voix qui s’entrecroisent, ce qui ne manque pas de surprendre en comparaison à ce que l’on peut trouver dans les petites paroisses françaises.

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Nous nous éclipsons au bout d’une quarantaine de minutes et nous dépêchons d’aller rendre les clés de notre hôtel à Mme Choucroute, qui - à notre grande déception – s’est faite remplacer par Mme Pince-sans-rire.

Macha et moi disons au revoir à Elena avant de grimper dans le taxi qui doit nous amener à la ville de Kalouga à environ trois quarts d’heure de route plus au sud, à partir de laquelle nous devons nous rapprocher en bus de notre destination : le village de Kitèje. Je m’installe sur la banquette arrière tout en essayant de ne pas trop regarder la longue fissure courant le long du pare-brise, laissant la seule ceinture disponible à Macha, qui me met à l’aise en m’indiquant que les accidents de la route sont un réel problème en Russie. Je (re)découvre avec terreur la conduite « à la russe », notre taxi fonçant à pleine vitesse sur des routes défoncées et doublant des véhicules pied au plancher. Me voyant à point pour un AVC un peu crispé, Macha tente de me détendre en m’apprenant un nouveau dicton russe : « Quel Russe n’aime pas la vitesse ? ». Effectivement.


Nous atteignons plus vite que prévu la ville de Kalouga, agglomération conséquente puisqu’elle dépasse le million d’habitants. Les 160 kilomètres nous séparant de Moscou commencent à se faire sentir : l’organisation de la vie quotidienne est moins huilée, la signalisation plus floue, les salaires plus bas, et les endroits deviennent rapidement inaccessibles à quiconque ne parle ni ne lit le russe, à moins d’être accompagné par un guide : les touristes sont rares. Déposés devant la gare, nous passons la porte dans le but d’aller nous renseigner sur les horaires de bus ainsi que de réserver nos places.


La porte principale étant maintenue ouverte grâce à un ingénieux moyen artisanal, je m’empresse de la prendre en photo, comme je fais habituellement avec les détails amusants que nous pouvons croiser. Cela n’échappe pas à un agent chargé de la sécurité qui, me prenant pour un Russe, me fixe d’un regard glacial et me demande sèchement : « Y a quoi d’intéressant là-bas ? ». Je lance un regard paniqué à Macha qui se charge de le rassurer sur le fait que je ne comprends pas grand-chose au russe. Nous croiserons le même agent un peu plus tard, et il nous demandera du ton poli réservé aux étrangers si notre voyage se passe bien.


Pour patienter en attendant notre bus, nous longeons la rue de la gare à la recherche d’une pharmacie, qui restera introuvable. Nous dépassons quelques bâtiments staliniens dans un état de décrépitude avancée et je me rends soudainement compte de la chance que j’ai de pouvoir découvrir « l’envers du décor », et la réalité de la vie russe loin de toute vitrine de métropole. Nous nous demandons alors si l’Etat russe se rend compte de l’attrait touristique que peut avoir le patrimoine soviétique pour des étrangers. Au prix de quelques restaurations et entretiens pour les valoriser, les vestiges du communisme pourraient sûrement attirer de nombreux visiteurs et développer le tourisme dans différentes agglomérations, comme cela existe dans d’autres pays de l’ex-bloc soviétique ?

Nous retournons bientôt à l’intérieur de la gare, et au son d’une télé diffusant l’épreuve de natation des Jeux Olympiques, passons commande de quelques crêpes au miel et au tvorog, sorte de fromage frais russe pour lequel j’ai développé une addiction sans bornes.

Nous sommes servis par une vendeuse pittoresque qui se voit immédiatement surnommée « Chto Vam ». « Chto Vam ?! » (littéralement : « Vous faut quoi, à vous ?! »), c’est la question que celle-ci pose à toutes les personnes qui se présentent devant elle, avec l’air de quelqu’un qui vient d’apprendre que le Diet Maroz (l’équivalent russe du Père Noël) n’existe pas. Elle prend les commandes et assure le service avec tellement de hargne que nous suspectons une histoire en cuisine, d’où elle ressort pourtant avec un quasi sourire qui disparaît sur-le-champ lorsqu’elle croise le regard d’un client. Soudain, sous mes yeux émerveillés devant tant de brutalité gratuite, elle aboie un « Bortsch ! » impérieux et abat un bol de soupe sur le comptoir, que vient récupérer rapidement la personne l’ayant commandé.


De retour dehors, nous embarquons bientôt dans le bus qui doit nous amener à Bariatino, sous le regard attentif des dizaines de pigeons caractéristiques des gares et arrêts de bus russes. Notre véhicule a été construit en France, à en croire les indications affichées au-dessus de la guirlande d’icônes suspendue au pare-brise, censée être aussi efficace qu’une bonne ceinture de sécurité. Le trajet est long, et le haut-parleur situé au-dessus de nos têtes rend impossible de fermer l’œil.



Nous évitons de justesse de manquer notre arrêt, qui n’est indiqué d’aucune façon, et attendons devant l’arrêt de bus désert la voiture qui doit nous mener à Kitèje, à une dizaine minutes d’ici. Un combi délicieusement rétro, rappelant les ambulances d’un âge révolu, s’arrête bientôt devant nous : un homme jeune en descend et s’adresse à nous d’un ton amical, assez inouï jusqu’ici de la part d’un inconnu. Il nous dit s’appeler Sergueï et nous invite à monter dans son véhicule pour nous emmener jusqu’à notre destination, où il travaille. Une fois installés à bord, nous faisons un détour pour récupérer un certain Sacha, avant d’aller emprunter des routes rafistolées faisant trembler l’engin de toutes parts, et ce à toute allure. Rien d’étonnant, après tout : quel Russe n’aime pas la vitesse ?




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