jeudi 11 août 2016
Nous arrivons à 4h du matin heure
locale à l’aéroport Moscou-Cheremetievo. L’attente à la douane commence,
et lorsque mon tour arrive je réveille le contrôleur à la mine austère qui
commençait à piquer un somme dans sa cabine. Mon passeport est vérifié sans un
sourire ni un privet, et je me réjouis d’être enfin confronté à l’amabilité
relative des agents dont m’avait parlé Macha, et que l’horaire très matinal n’a
pas dû améliorer.
Nous voici bientôt dehors et nous
repérons rapidement le taxi qui doit nous emmener jusqu’à Reoutov, en
banlieue de Moscou, chez la mère de Macha où nous allons passer plusieurs
nuits.
Sur la route, je suis frappé par
la grandeur des paysages qui nous entourent, tout est large, haut, immense et
démesuré. D’épaisses et sauvages forêts de conifères bordent les autoroutes à
cinq voies, le visage de Mireille Mathieu nous sourit aimablement du haut d’un
gigantesque panneau publicitaire, et les silhouettes d’une multitude d’immeubles
d’habitation émergent ici et là contre un magnifique ciel rose orangé, dans la
brume matinale. Ce smog n’est pas surprenant au vu de la densité de voitures et
poids lourds balayant à toute vitesse de grandes routes tracées à la règle,
notre taxi zigzagant à toute berzingue parmi voitures de sport et véhicules
décrépis, dont les formes peu familières intriguent. Derrière toute cette
circulation, on sent la loi de la jungle qui me rappelle des souvenirs d’Istanbul
et de sa confusion routière.
Aux alentours de 6h, nous atteignons
une zone d’habitation perdue dans les arbres, où de vieux bâtiments datant de Khrouchtchev
(années 60) ou Staline (années 30-40) s’alignent, entourés d’espaces verts.
Après avoir fait de notre mieux pour dissimuler au chauffeur de taxi ma
nationalité française et ainsi payer moins cher, nous passons la porte d’un
immeuble et trouvons l’appartement d’Elena, la mère de Macha. Celle-ci nous
accueille chaleureusement et, selon l’habitude russe, nous installe rapidement
à table dans la petite cuisine avec de quoi nous sustenter : une soupe à l’oseille,
de la viniégret, une boisson inconnue à base de groseilles et d’amidon (kissel),
des zefir et des cerises au chocolat… Le ventre plein nous tombons de fatigue
et allons nous coucher sur les coups de 6h…
… pour nous réveiller vers midi,
car une après-midi occupée nous attend : je dois en effet aller m’enregistrer
auprès de l’administration ainsi que régler à l’association Eurofamilles l’invitation
qui m’a permis de séjourner en Russie en dehors d’un hôtel. Une douche
salvatrice parvient à me réveiller pour de bon. L’équation habituelle en Russie
étant 1 réveil = 1 petit déjeuner, et ce quelle que soit l’heure de la journée,
Elena m’installe devant un petit déjeuner maison, moment terrifiant où Macha, à
la douche, ne peut secourir mes quelques mots de russe balbutiant. Je parviens
quand même à comprendre les trois quarts de ce qu’Elena tente de m’expliquer au
sujet de la bouillie d’avoine cuite, de pomme, de lait et de miel (un délice)
qu’elle appelle kacha. Un thé plus tard et après avoir préparé nos affaires,
nous nous mettons en route pour la station qui se trouve à quelques minutes à
pied. Il fait très beau.
Le train dans lequel nous montons
à la station Stroïka est quasiment désert et nous amène en l’espace d’une
demi-heure – sur l’une des trois voies composant la voie ferrée - à la station
de Serp i Molot - littéralement « la faucille et le marteau » -
bienvenue à Moscou ! Sur le chemin du métro, j’ai l’impression d’être
comme un nouveau-né qui découvre le monde, car à l’exception des passants
maussades et pressés tout est tellement différent, les choix architecturaux
éclectiques, les modes vestimentaires rappelant les années 2000, les femmes à l’apparence
sophistiquée, la multitude de magasins variés, les immeubles côtoyant les
bâtiments bas, les tracteurs lave-rue… Dans les passages souterrains, Macha m’explique
que les petits stands et boutiques en tout genre qui s’entassaient là (un peu à
la stambouliote) ont aujourd’hui disparu, de même que nombre de rues et
trottoirs qui ont été modernisés, européanisés, uniformisés en de grandes voies
piétonnes pavées.
Le plus dur, c'est de se mettre d'accord sur un style... |
Nous nous engouffrons dans le
métro où nous faisons l’achat d’une sorte d’Oyster Card, et où je me rends
compte que le taux de change rouble/euro (1€=70₽) est très perturbant. Macha m’explique
le fonctionnement de cette immense ville sous la ville : lignes désignées
par des couleurs, stations différentes pouvant porter le même nom, organisation
circulaire, signalétique ultra efficace empêchant de s’égarer tranquillement,
traditionnels rendez-vous au point central des stations pour ne pas se perdre…
C’est d’ailleurs au milieu de la station de Barrikadnaya que nous attendons M.K.,
qui nous a aidés à obtenir mon invitation, et qui est également en partie responsable
du français impeccable de Macha, puisqu’elle a été sa professeure pendant des
années.
M.K. est une moscovite de souche
et, non satisfaite de s’exprimer dans un français parfait, elle est une encyclopédie
vivante pour tout ce qui concerne la capitale russe : nous nous mettons en
route avec elle tandis qu’elle nous raconte l’histoire des endroits que nous
traversons. Les anciens hôtels particuliers défilent, aujourd’hui réservés aux
sièges des ambassades. Plus loin, nous apercevons une maison où Tchekhov a
vécu, transformée en musée, que nous décidons de visiter le lendemain.
Nous atteignons l’immeuble où je
dépose les informations nécessaires à mon enregistrement, puis nous nous
arrêtons quelques minutes dans une église orthodoxe - célèbre pour avoir
accueilli le mariage de Pouchkine – prenant le temps d’admirer le festival de
fresques, de dorures et d’inscriptions en slavon. Nous voilà repartis direction
l’Institut de création littéraire Maxim Gorki, où Macha a fait une partie de
ses études, sous l’égide, entre autres, de M.K. Nous suivons cette dernière
dans l’enceinte de l’établissement quasi désert, comme une oasis de calme au
milieu de la frénésie urbaine. Le lieu dégage une certaine aura, avec ses
salles de cours austères, ses couloirs sombres décorés des portraits d’écrivains
russes emblématiques aux airs sévères. Nous arpentons les étages, suivant les
souvenirs de Macha et M.K. sous le regard inquisiteur de Dostoïevski, Gogol ou
encore Gorki.
Vas-y coco, crée, on regarde. |
Au sortir de l’Institut, il est
déjà l’heure du dîner, ce qui paraît impossible compte tenu de nos horaires
décalés. Nous nous dirigeons donc vers une sorte de self-service évolué, qui
porte le nom très glamour de « Grabli » (littéralement « râteau »).
M.K. m’explique que c’est une chaîne de restauration « faite maison ».
Je fais connaissance avec une boisson à base de jus de groseilles cuit portant
le doux nom de kompot, des kotleti (boulettes de poulet) et des malosolnié ogourci. Ces derniers sont des gros cornichons petits concombres à demi
marinés dans l’ail, le sel et l’aneth (en France, ce qui s’en approche le plus
sont les « malosols », mot qui ne veut apparemment strictement rien
dire dans la langue de Pouchkine), et j’ai du mal à suivre la conversation
derrière le vacarme des mes papilles qui hurlent de plaisir à chaque bouchée. Au
détour d’une conversation animée comparant les systèmes éducatifs français et
russes et les lacunes dans la formation des professeurs, M.K. me fait réaliser
que « malo » veut dire « peu » et « sol » = « sel »
donc « malosolnie = peu salé).
Le ventre plein, nous nous
séparons et prenons le chemin du retour, entre métro et vieille elektrichka (train fonctionnant à l’électricité) bringuebalante. En attendant notre train s’offre
à nous le spectacle des moscovites s’entassant consciencieusement sur le quai
dans l’optique de se jeter sur les premières places libres, tandis que d’autres
traversent les voies et escaladent les barrières pour profiter d’une entrée
gratuite à la station.
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