8 sept. 2016

Voyage en Russie ! - partie 7

Mercredi 17 août 2016



Cher lecteur, nous reprenons notre récit au moment où, au terme d'une courte et inconfortable nuit à bord d'un train se dirigeant vers Mourmansk, nous approchons de la ville d'Okoulovka.

Après ces quelques heures de sommeil décousu et 7h40 de trajet, le jour se lève sur le train à l’arrêt, probablement un peu en avance sur le planning et qui patiente donc pour arriver pile à l’heure. Dehors, un haut rideau de sapins fait écho à la forêt de pieds que je découvre en jetant un œil dans l’allée centrale. La plupart des passagers dorment encore, et la famille en face de nous roupille ferme à l’exception du bébé qui nous regarde fixement, l’œil attentif et la bouche ouverte tel un poisson séché en plein air. Une odeur persistante de kolbasa bon marché flotte dans l’air depuis le réveil, et nous suit jusqu’à la sortie, alors que nous nous dépêchons de descendre de voiture durant les trois minutes d’arrêt réglementaires. Des cheminots agitent des drapeaux de wagon en wagon pour indiquer que tout est prêt pour repartir, et bientôt le train et sa cargaison de dormeurs ne sont plus qu’un point qui rétrécit à l’horizon, alors que nous avançons sur le quai quasi désert de la gare d’Okoulovka.


A bord du taxi nous conduisant - pied au plancher, est-ce utile de le préciser - chez Julia, nous avons le loisir d’observer le paysage d’une petite ville de campagne, qui tranche avec le décor métropolitain quitté quelques heures plus tôt, offrant aux yeux moultes maisons de bois et jardins conséquents. Macha m’explique qu’Okoulovka est composée de deux agglomérations distinctes, répondant aux noms exotiques d’Okoulovka 1 et Okoulovka 2, et nous quittons l’une pour aller vers la suivante.


Julia habite dans une confortable maison derrière laquelle s’étend un vaste potager fleuri. A notre arrivée, nous sommes accueillis comme le veut l’usage par un thé « à la russe », c’est-à-dire accompagné d’un vrai repas de choses à grignoter jusqu’à ne plus avoir faim. L’accueil est très chaleureux, notre visite apparaissant comme un petit évènement, car les visiteurs étrangers sont rarissimes par ici. Julia nous explique en riant que toute la rue doit être au courant qu’un Français est de passage, et qu’elle veut éviter d’allumer la lumière pour ne pas avoir des voisins curieux aux carreaux. Je m’étonne des rires rencontrés lorsque je me risque à de polis « spasibo » ou « pajalousta » - on m’explique qu’ici, les actes de gratitude sont plus importants que les mots. Je découvre avec curiosité les conditions de vie à la campagne : l’eau courante est juste arrivée, le bania (le « vrai » sauna russe que nous aurons l’occasion de tester dès le lendemain) hebdomadaire remplace la douche… La manière de boire le thé est elle aussi différente : pour le refroidir, on verse le contenu de la tasse dans la soucoupe - de taille généreuse - avant de boire à même celle-ci.


Après une courte sieste, nous nous mettons en route vers l’appartement d’Alissa, une amie de Macha, ce qui donne un bon prétexte pour explorer les environs. Nous quittons la route goudronnée pour des chemins de terre qui se transforment parfois en mare, qu’il faut franchir sur une passerelle de planches posées là fort à propos. Derrière les palissades de bois des maisons, les chiens de garde nous observent et saluent notre passage d’un concert de hurlements et d’aboiements méfiants. Nous atteignons une partie de ville plus urbanisée, où les immeubles d’habitation refont surface au détour d’un chemin campagnard.


Alissa nous accueille dans son appartement moderne, qui contraste avec l’extérieur du bâtiment fort décrépi, et nous met à l’aise autour d’un thé à la russe. Passablement fatigué, mes oreilles délaissent la conversation russophone et je jette un œil intrigué à la télévision, qui diffuse une série du type Julie Lescaut (que nous appellerons Julia Leskova), entrecoupée d’un nombre hallucinant de pages de pub. Julia Leskova laisse ensuite place à une émission de télé-réalité, talk-show dont il est facile de percevoir le vide intersidéral malgré la barrière de la langue.

L'enseigne indique qu'il s'agit d'un "bon magasin"

Nous sommes bientôt de retour chez Julia. Le dîner qui s’ensuit achève de combler le peu d’espace restant dans mon estomac suppliant, et nous visitons le potager dont Julia s’occupe quotidiennement, impressionnant par sa grandeur et sa variété. Nous allons ensuite faire un tour du côté de l’école d’Okoulovka, qui rassemble des classes de l’école au lycée (leurs équivalents russes), avant d’aller faire quelques achats dans un magasin encore ouvert malgré l’heure tardive. La soirée se termine autour d’une guitare, l’occasion pour Macha et moi de dérouiller quelques chants russes pour la première fois « à domicile » !


*    *    *

Le lendemain est consacré en majeure partie au sauvetage d’un nouveau venu : un chaton des rues en manque évident d’affection qui se voit très vite baptisé « Boublik », mot emprunté à la gastronomie russe et qui désigne un gros souchka (ce serait un peu comme l’appeler « Gros Beignet » en français). Comme tout chat abandonné qui se respecte, celui-ci est dans un piteux état : nous commençons par lui faire prendre un bon bain dans une eau qui prendra bientôt la couleur du thé noir russe, moins les odeurs d’agrumes. Nous décidons ensuite de l’emmener chez le vétérinaire pour obtenir les papiers nécessaires à son déplacement vers Moscou car nous comptons en faire la surprise à la mère de Macha, qui a perdu le sien récemment.


Macha me prépare psychologiquement à un cabinet vétérinaire n’ayant rien à voir avec leurs équivalents français, puis Julia appelle un taxi un ami de son frère qui conduit justement un taxi : ici tout le monde se connaît, et je retrouve la convivialité familière typique des endroits isolés et peu peuplés – tout le monde s’entraide et se rend service.


Les vétérinaires sont installés dans une grande maison bleue à l’intérieur assez sinistre, mais cela n’est peut-être qu’une impression dûe aux nuages gris qui recouvrent la ville. Nous voici bientôt dans une petite pièce où nous trouvons les deux médecins vétérinaires assises à leurs bureaux, nous lançant à notre entrée des regards austères. Nous remarquons également la présence d’une stagiaire occupée à recopier – à la main et en plusieurs exemplaires – les données diverses et variées d’une liasse de feuilles, tandis que des ordinateurs délaissés somnolent au fond de la pièce.

Il n’est pas sûr que nous puissions obtenir le certificat apparemment obligatoire pour obtenir le billet de train d’un animal, et nous sommes redirigés vers une autre pièce pour en demander l’autorisation au Directeur. Nous passons un couloir éclairé d’une lumière jaune et pénétrons dans une pièce où un homme attablé lit son journal – son identité et son rôle sont toujours inconnus à l’heure où j’écris ces lignes. Le Directeur assis un peu plus loin nous indique qu’il ne peut nous fournir le certificat que nous demandons, car des cas de rages ont été reportés dans la région et il est par conséquence interdit d’en sortir tout animal avant le vingtième jour suivant sa vaccination.


Nous retournons voir la doctoresse, qui jette au Gros Beignet un regard rapide (regard facturé par la suite sous le nom d’ « examen clinique général »), lui prend sa température, puis le vaccine, sans nous donner le moindre conseil sur les soins à prodiguer. Après quelques négociations, elle finit par nous fournir malgré les restrictions le passeport non signé, que nous complèterons plus tard avec les nom et signature d’un vétérinaire fictif.

L’étape suivante est l’achat d’une cage pour le transport en train : la vendeuse prend le rôle du vétérinaire en nous conseillant d’utiliser le savon noir pour éradiquer les parasites de notre fauve tout pucetiféré. Nous nous rendons ensuite dans une petite boutique offrant entre autres un service de prise de photo, impressions et photocopies diverses et variées afin de compléter le passeport. A la gare, le passeport théoriquement indispensable n’est même pas regardé, et nous obtenons rapidement un billet – non sans avoir remarqué que les animaux sont apparemment considérés comme des « bagages » à bord des trains.


En soirée, nous interprétons quelques chansons devant des voisins venus assister au « concert » : c’est une sensation très bizarre que de jouer à plusieurs milliers de kilomètres de chez soi des morceaux que les locaux connaissent très bien, tandis qu’ils sont à peu près inconnus d’où on vient…



Aux alentours de minuit, nous découvrons la bania ; celle-ci a été construite de manière artisanale, et tout le monde n’a pas la chance d'en posséder une chez soi : certains voisins en profitent ainsi de manière régulière. Ce sauna traditionnel prend la forme d’une petite cabane en rondin abritant un poêle à bois, qui sert à chauffer de l’eau ainsi que des pierres devant permettre de créer toute la vapeur nécessaire à une bonne cuisson toilette décapante. Plusieurs heures sont nécessaires pour atteindre la température idéale, qui à quelques degrés près pourrait sûrement permettre de cuire des pommes de terre.


J’apprends de nouveaux mots : vienik, qui correspond aux branches de pommiers avec lesquelles on se cravache dans la joie pour activer la circulation, et kovchik, qui désigne une sorte de louche en métal utilisée pour s’asperger allègrement d’eau froide et éviter ainsi l'hyperthermie.  Dans les saunas français aux températures bien plus basses, on conseille des séances d’une demi-heure maximum ; ici les habitués restent  transpirer pendant une heure et demie sans problème. A la sortie du four, rincés et lessivés, dans un état de décontraction proche de l’amorphisme, le sommeil nous rattrape vite.

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire

Scribe ye thoughts rrrright here